FR : Jacques de Voragine, Quadragesimale 18 (RLS 213)

Traduction de Nicole BÉRIOU

Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples et vous connaîtrez la vérité (Jn 8, 31).

La vérité vous délivrera (= Jn 8, 31) . Comme certains juifs avaient été convertis à la foi, le Seigneur, voulant les confirmer dans la foi qu’ils avaient reçue, les exhorte à observer sa parole avec attention, car ils seront alors de vrais disciples. Dans les paroles ci-dessus énoncées, il y a deux points : d’abord, le Seigneur les exhorte à observer sa parole, quand il dit : Si vous demeurez dans ma parole  ; deuxièmement, il indique la triple efficacité de la parole, quand il dit : Vous serez vraiment mes disciples.

Sur le premier point, il faut noter qu’il est bien utile d’observer la parole de Dieu. Car, selon ce que dit Ambroise à propos du Beati immaculati , la parole de Dieu a un triple pouvoir : elle enflamme, elle éclaire, elle purifie.

Premièrement, elle a le pouvoir d’enflammer : en effet, si un homme est refroidi dans l’amour de Dieu, la parole de Dieu l’enflamme, puisqu’elle est de feu. Mes paroles ne sont-elles pas comme le feu  ? dit le Seigneur. Ta parole de feu, véhémente, et ton serviteur l’a aimée (Ps). Toute parole de Dieu est de feu (Prov). Ils étaient ainsi enflammés, ceux qui disaient : Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous quand il nous parlait en chemin  ?

Deuxièmement, le pouvoir d’éclairer : en effet, si un homme est ignorant ou qu’il doute dans la foi, la parole de Dieu l’éclaire, puisqu’elle est lumière. Ta parole, comme une lampe pour mes pieds (Ps). Le commandement de Dieu est une lampe, et sa loi est lumière.

Troisièmement, le pouvoir de purifier. Si un homme est infecté par des vices, la parole de Dieu le purifie, puisqu’elle est une eau venue du ciel. Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés de toutes vos souillures (Ez). Désormais vous voilà purs , grâce à la parole que je vous ai dite (Jn).

Mais si la parole de Dieu doit enflammer, éclairer et purifier, pourquoi donc ceux qui entendent les paroles de Dieu ne sont-ils pas aussitôt enflammés, éclairés et purifiés ? A cela, il faut dire que , bien que les paroles de Dieu sont de feu, elles ne peuvent enflammer beaucoup de gens qui mettent une séparation entre eux et ce feu et érigent le péché en mur de fer. Voici que la main du Seigneur n’est pas diminuée si bien qu’il ne pourrait sauver, mais ce sont vos iniquités qui ont mis la division entre vous et votre Dieu ; et vos péchés vous ont caché sa face si bien qu’il ne vous entend pas (Is). Cette iniquité qui vient de vous sera comme la brèche branlante, saillant du haut du rempart. Il en est beaucoup qui, alors qu’ils disposent de la parole de Dieu comme d’une lumière pour les éclairer, ne sont pas éclairés pourtant parce qu’ils ne s’approchent pas de cette lumière, mais s’en éloignent trop. Comme il est dit : Quand ils s’approchent de ses pieds, ils reçoivent quelque chose de son enseignemnt (Dt) Approchez-vous de lui et soyez éclairés (Ps 32). Il en est beaucoup qui , alors que les paroles de Dieu devraient les purifier, puisqu’elle sont l’eau venue du ciel, ne sont pas purifiés par elles parce que leur esprit est tourné vers la terre. Car, comme le déclare Augustin, tout un chacun est à l’image de son amour : si tu aimes la terre, terre tu es ; si tu aimes Dieu, Dieu tu es. De même que les briques ne sont pas lavées par l’eau, mais davantage salies par elle, de même ceux là, qui se tournent vers la terre. Ils sont devenus abominables, comme ces choses qu’ils ont aimées (Os).

Deuxièmement, est indiquée l’efficacité de la parole de Dieu qui est triple.

Premièrement parce que les paroles de Dieu font de l’homme le disciple du Christ, c’est pourquoi il ajoute : Vous serez vraiment mes disciples . Le signe qu’un homme est disciple du Christ est qu’il entend volontiers sa parole : Celui qui est de Dieu écoute la parole de Dieu (Jn). Un autre signe est que le disciple du Christ repousse tout amour illicite et désire tout l’amour divin. L’amour illicite, en effet, est triple : il est domestique, mondain, et charnel. Il est domestique quand quelqu’ un aime ses parents dans le mal. Il est charnel quand quelqu’un aime ce qui est en lui animal et charnel. Il est mondain, quand quelqu’un aime trop les choses de ce monde. Ces trois sortes d ‘amour, le disciple du Christ doit les rejeter : Si quelqu’un vient à moi et qu’il ne déteste pas son père et sa mère (ceci se réfère à l’amour domestique), et encore son âme (ceci se réfère à l’amour charnel), et qu’il ne renonce pas à tout ce qu’il possède, il ne peut être mon disciple (et ceci se réfère à l’amour mondain) (Lc). Les disciples du Christ doivent en effet avoir un amour spirituel et divin qui consiste à aimer Dieu et son prochain. A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres .

La deuxième efficacité de la parole de Dieu est que ceux qui observent les paroles de Dieu connaissent la vérité de Dieu, c’est pourquoi il déclare : Et vous connaîtrez la vérité. Comme le dit Augustin, la vérité est opposée à la fausseté, à la duplicité et à la vanité. Car ce qui est vrai n’est ni faux, ni double, ni vain. Ainsi les paroles de Dieu nous font connaître la vérité sur le monde, en nous faisant connaître que tout ce qui est du monde est faux, double, et vain.

Faux, parce que le monde promet la satiété par les richesses et ne donne que le vide, comme on le voit chez ce riche qui parvint à un tel vide qu’il ne put même pas avoir une goutte d’eau. En d’autres cas il promet le plaisir et donne l’amertume. Les lèvres de l’étrangère distillent le miel, mais l’issue en est amère comme l’absinthe . Dans les honneurs il promet une élévation suprême et il donne la chute brutale. Ils prennent le tambourin et la cithare, et ils se réjouissent au son de la flûte. Ils passent leurs jours dans la prospérité, et tout d’un coup ils descendent aux enfers. Tu m’as élevé, et comme si tu m’avais jeté au vent, tu m’as complètement fracassé .

Deuxièmement, ces choses mondaines sont doubles et mêlées. Dans le monde en effet rien n’est pur, tout est mélangé : Ton vin est mêlé d’eau. La joie est mêlée de douleur, la sagesse mêlée d’oubli, la santé mêlée de maladie, la vie mêlée de mort. Dans cette vie, ces choses sont toutes mêlées, alors que dans la vie bienheureuse elles seront pures, et d’en l’enfer, bourbeuses. Car Dieu séparera de la joie la douleur, de la sagesse l’oubli, de la santé la maladie, de la vie la mort : et toutes les vases, la douleur, l’oubli, la maladie et la mort, il les jettera en enfer. Tandis que les saints garderont pour eux tout ce qui est le plus pur, la joie sans douleur, la sagesse sans oubli, la santé sans maladie, la vie sans mort.

Troisièmement, ces choses mondaines sont vaines : elles ont la vanité en leur principe, puisqu’elles viennent du néant ; au cœur d’elles mêmes, puisqu’elles sont soumises à toute sorte de mutation ; dans leur issue, puisqu’elle parviennent aussitôt au néant. Tout est soumis à la vanité (ce qui se réfère à la vanité qui est au cœur des choses), fait de terre (ce qui se réfère à la vanité de leur principe), et revenant à la terre (ce qui se réfère à la vanité de leur issue).

La troisième efficacité de la parole de Dieu vient de ce que servir les paroles de Dieu fait parvenir à la pleine liberté. C’est pourquoi il ajoute : Et la vérité vous délivrera. Ceux qui le font ont la liberté de l’esprit, que ce soit dans le reproche et dans l’abstinence du péché. Ils font en effet librement reproche aux puissants de leurs vices. Pendant sa vie il ne craignit pas le prince et personne n’eut raison de lui par sa puissance. Cette liberté de l’esprit, les philosophes aussi l’ont eue : Diogène le philosophe, qui faisait des reproches à Alexandre, s’entendit alléguer en retour par Alexandre le pouvoir dont celui-ci jouissait. Diogène alors lui répondit : « Ton pouvoir et ta gloire sont ou passés, ou présents, ou à venir. Ce qui est passé, je ne le crains pas, puisqu’il n’existe plus. Ce qui est à venir je ne le crains pas, puisque c’est douteux et incertain. Ce qui est présent, je n’y attache pas d’importance, puisque c’est momentané et que cela s’évanouit en un clin d’oeil. » Et ils ont la liberté de l’esprit en s’abstenant de pécher, ceux qui dédaignent d’être les serviteurs du péché. Augustin : « le pécheur sert autant de maîtres que de vices », et donc, comme Alexandre avait déclaré devant notre philosophe qu’il était le maître du monde, celui-ci répliqua : « Tu n’en es sûrement pas le maître, tu es plutôt le serviteur de mes serviteurs. Car la superbe est ma servante et elle est ta maîtresse. La concupiscence de la chair est ma servante et elle est ta maîtresse. Elles, je les tiens sous mes pieds, tandis qu’elles te dominent, c’est pourquoi tu es le serviteur de mes servantes. » Et tandis que les proches d’Alexandre voulaient se jeter sur lui, Alexandre dit : « Veillez à ce qu’il ne lui arrive rien, car il est le serviteur de Dieu et il dit la vérité. »